


28 ans, 2 mois après l’assassinat de Sylvanus OLYMPIO lors du putsch du 13 janvier 1963 au Togo, survient la marche des femmes du samedi 16 mars 1991 qui est l’objet d’une répression sanglante ayant fait 13 nouveaux martyrs.
Le 12 mars 1991, les étudiants se mettent en grève et appellent à une marche pacifique pour appuyer leurs revendications corporatives.
EYADEMA fait déployer sur le campus universitaire les forces de l’ordre qui répriment sauvagement le mouvement en tuant 5 étudiants.
Le vendredi 15 mars 1991, colère des femmes de Lomé.
Elles descendent dans la rue.
« Libérez nos enfants », crient-elles, exigeant la libération des étudiants arrêtés et le retour de ceux qui sont portés disparus.
Elles scandent aussi : « nous voulons la démocratie, le multipartisme nous le voulons.» Les militaires chargent, matraques, gourdins et ceinturons au poing. La répression suscite consternation et indignation : « Ils ont osé frapper nos mères, ils ont osé frapper les femmes ».
Les associations d’étudiants qui avaient appelé à une marche de protestation le samedi 16 mars invitent toute la population de Lomé à se joindre à la manifestation.
Les mères de famille, se solidarisant avec leurs enfants aussi bestialement réprimés, descendent dans les rues pour la marche pacifique de protestation appelée le samedi 16 mars.
Le samedi 16 mars
Des véhicules militaires foncent délibérément sur la foule des manifestants. L’un de ces manifestants, un enfant de 12 ans, est fauché par une Jeep des Forces Armées Togolaises. Le véhicule revient en marche arrière et écrase l’enfant Cet enfant : Lukman FABUALE est mort avant son transfert à l’hôpital. Le conducteur du véhicule n’a jamais été inquiété, alors même que l’immatriculation du véhicule criminel est connue (FAT 1760).
Outre la mort de cet enfant, la répression de ce mouvement, pourtant légitime, cause plusieurs blessés.
Les militaires poursuivent par la suite la répression dans plusieurs quartiers jusque dans les domiciles privés, escaladant des murs, défonçant des portails, des portes et des fenêtres.
C’est dans ce contexte que :
— les forces de l’ordre pénètrent dans la maison BANDEIRA, font irruption, après en avoir défoncé la porte, dans la chambre de Madame veuve Anasthasia BANDEIRA-N’KOUNOU, où ils lancent des grenades lacrymogènes. Ils quittent ensuite les lieux en refermant porte et fenêtres derrière eux. La malade, grabataire âgée de 75 ans, mourra quelques jours plus tard à l’hôpital des suites des coups et blessures reçus et des gaz lacrymogènes inhalés dans sa chambre.
— Madame Kayi ADJAVOIN, est blessée.
La dispersion de la manifestation a cédé la place à un règlement de comptes aux relents tribalistes.
Comme l’attestent les nombreuses requêtes enregistrées par la CNDH et la LTDH, les gourdins visaient particulièrement la tête des victimes.
Les certificats de décès attestent que le traumatisme crânien a été la principale cause des décès.
C’est le cas de Kossi Vigbédo MESSAN, 45 ans, crâne fracassé de Messan DAMESSI 21 ans, de Adam Mamah IDRISSOU, 55ans.
Dans la même maison, à Bè, trois décès sont survenus.
Trois personnes dont le crâne a été défoncé au pilon par des militaires, dans une chambre.
Il s’agit de Kodjo DONOU, 22 ans ; Raphaël Gbénadou EDORH, 19 ans ; Atsu AMEZIAN, 29 ans.
Des grenades lacrymogènes sont tirées jusque dans des chambres brûlant grièvement plusieurs personnes.
Ces grenades ont également provoqué des incendies et de graves dégâts matériels.
Le bilan des manifestations et des émeutes du mois de mars, selon les requêtes enregistrées par la Ligue Togolaise des Droits de l’Homme et la Commission Nationale des Droits de l’Homme est de 328 blessés, 13 morts dont un policier et un bébé de 9 mois arraché au dos de sa mère. 159 requêtes font état de dégâts matériels.
Etabli à partir des conclusions des médecins qui ont soigné des blessés, le rapport du Docteur ASSIMADI, membre de la CNDH indique que les agressions du mois de mars ont été commises, dans 54 % des cas aux domiciles des victimes dans 22 % des cas dans la rue, et dans les 24 % restants dans les écoles, églises, lieux de soins etc…
Pour 60 % des cas, des lésions sont localisés au crâne et à la face. Trois cas de nourrissons blessés (dont un âgé de 4 mois et deux de 9 mois) sont également mentionnés.
POURSUITES DANS LES HOPITAUX
Un acte est également devenu courant depuis les premiers soulèvements de la population en octobre 1990 : il s’agit des descentes effectuées par les forces de l’ordre dans les hôpitaux, les cliniques et les pharmacies pour empêcher les médecins de soigner les blessés.
A la suite de son Assemblée Générale du 23 mars 1991, l’Amicale des Médecins Privés du Togo a adressé la correspondance suivante au Chef de l’Etat :
(Extraits) : « Lors des événements graves des 13, 14, 15, et 16 mars 1991 à Lomé…, les Médecins privés ont eu à soigner 127 blessés pour la plupart traumatisés crâniens dont certains sont encore dans le coma (…)
Lors des soins apportés aux blessés, plusieurs de nos confrères ont subi des menaces et intimidations de la part des militaires. Ces derniers réclamaient des blessés dans certains cas ou voulaient empêcher les médecins de les soigner dans d’autres cas. Ces militaires ont provoqué des dégâts matériels dans deux cliniques de la ville. Ces actes qu’on ne peut que qualifier de barbares nous ont horrifiés et indignés au plus haut point. Nous vous rappelons que dans l’exercice de notre profession de médecin, nous sommes liés par le serment d’Hippocrate qui nous oblige à accomplir notre devoir en toute neutralité, même sous la menace. Nous vous rappelons d’autre part que la convention de Vienne que le Togo a ratifiée nous autorise à soigner même des prisonniers de guerre non togolais en cas de conflit armé.
En conséquence, nous (…) protestons avec vigueur contre ces actes d’atrocités dirigés contre la vie humaine que nous sommes engagés à protéger, (…), exigeons qu’une enquête soit menée afin de déterminer au sein de l’armée les responsables des derniers actes de violation des cabinets et cliniques… »
Au total, la répression de la nouvelle manifestation de ce 16 mars 1991, encore plus sanglante, occasionne 13 morts, martyrs parmi lesquels on compte notamment :
- Lukman FABUALE, enfant de 12 ans ;
- Kossi Vigbédo MESSAN, 45 ans, crâne fracassé ;
- Messan DAMESSI, 21 ans ;
- Adam Mama IDRISSOU, 55 ans ;
- Kodjo DONOU, 22 ans, crâne défoncé au pilon par des militaires, dans une chambre à Bè ;
- Raphaël Gbénadou EDORH, 19 ans, crâne défoncé au pilon par des militaires, dans une chambre à Bè ;
- Atsu AMEZIAN, 29 ans, crâne défoncé au pilon par des militaires, dans une chambre à Bè ;
- Un policier ;
- Un bébé de 9 mois, arraché au dos de sa mère.
- Mme veuve Anasthasia BANDEIRA-N’KOUNOU, vieille dame de 75 ans, décédée des suites de son intoxication par les gaz lacrymogènes et de son passage à tabac à son domicile.