SYLVANUS FOREVER !

15 septembre – 15 octobre 2025 :
Mois des martyrs et prisonniers politiques du Togo

28 ans, 2 mois, 28 jours après l’assassinat de Sylvanus OLYMPIO lors du putsch du 13 janvier 1963 au Togo, surviennent l’une des plus terribles tragédies de l’histoire du peuple togolais : les massacres de la Lagune de Bè.

Le 10 avril 1991, alors que le soulèvement populaire commencé le 5 octobre précédent s’est étendu à tout le Togo, le gouvernement d’EYADEMA décrète dans la capitale Lomé, un couvre-feu s’étendant de 19 heures à 6 heures du matin, couvre-feu annoncé sur les antennes de la Radio à 20H soit une heure après son entrée en vigueur.

Le lendemain 11 avril 1991, au petit matin, les habitants de Lomé découvrent avec effroi ce qu’un journal indépendant de Lomé a nommé « l’horreur absolue ».

28 cadavres sont retirés de la Lagune de Bè ce jour-là dont celui d’une femme enceinte portant un bébé au dos.

Spontanément, une des plus fortes manifestations de protestation que la population ait organisée à l’époque a lieu et, exigeant le départ d’EYADEMA, appelle les avocats Yao AGBOYIBOR et Joseph Kokou KOFFIGOH, principaux responsables du Front des associations pour le renouveau (FAR) qui s’est porté à la tête du soulèvement populaire de prendre le pouvoir. Interviewés par des journalistes de Radio France internationale (RFI) et de la Presse internationale, ceux-ci répondent :

« Nous ne voulons pas créer un vide institutionnel. Nous voulons que des institutions et des hommes de transition soient mis en place. Et cela ne peut se faire que si nous prenons en compte les institutions existantes. Or celles-ci sont incarnées par le président de la République. (…)

Il faut absolument quelqu’un qui puisse assumer la transition vers la démocratie. Actuellement, il y a un chef d’Etat qui est en place. Il vaut mieux qu’au cours des mois à venir la transition s’opère dans le respect des institutions. (…)

Nous n’avons pas engagé le processus de négociations sur un scénario putschiste. Si ce scénario doit entrer en ligne de compte, cela nécessite une révision de notre stratégie alors que nous sommes, pour la plupart, des organisations des droits de l’homme.

Nous ne pouvons donc pas élaborer un putsch au moment même où nous sommes impliqués dans un processus de négociations.

Notre objectif n’est pas de prendre le pouvoir, mais plutôt de déblayer le terrain, d’ouvrir le jeu politique pour que tous les acteurs puissent s’y exprimer. »

Quant aux faits de cette sanglante tragédie, l’ouvrage Togo, La stratégie de la terreur, 3 ans de violations des droits de l’homme (5 octobre 1990-5 octobre 1993), page 12, rapporte :

« Les témoignages, concordants et accablants, recueillis par la presse nationale et internationale, la ligue Togolaise des Droits de l’homme et la Commission Nationale des Droits de l’Homme mettent en cause l’armée togolaise.

L’un des rescapés a fait la déposition suivante auprès de la Ligue Togolaise des Droits de l’Homme:

« C’était le mercredi 10 Avril dans la matinée vers 10 heures (…) Je me suis engagé sur le pont de la lagune de Bè en discutant des événements de la journée avec une femme enceinte qui portait un enfant au dos. Devant nous, je vis les phares allumés de deux camions de militaires sur le pont. Le quartier était aux mains des manifestants. La mute était noire de manifestants. Nous avions vu un camion et une jeep descendre du côté des rails. Nous avions voulu nous retourner mais d’autres Jeep venaient de la direction du palais royal du chef Aklassou. Nous étions ainsi pris en sandwich. Nous n’avions d’autres choix que nous jeter dans la lagune. C’était la seule issue favorable pour assurer sa vie.

Ceux qui ne savaient pas nager et qui tentaient de ressortir par les bords de lagune se voyaient matraqués par les militaires à l’aide de gourdins et de grenades à  fragmentation… La femme enceinte portant un bébé fait partie de ceux qui ont subi les coups de gourdins des militaires parce qu’elle tentait de ressortir de la lagune. Elle est morte sous ces coups. Comme moi je sais nager, j’ai pu me tirer d’affaire. Quand je suis sorti, j’ai été sollicité pour porter secours à ceux qui étaient encore en difficulté. Avec l’aide de la population, les militaires ont été chassés à coups de pierre. Ainsi j’ai pu sauver un homme et aussi d’autres personnes (…) Les gens qui habitent auprès de la lagune peuvent vous dire la vérité. »

Des témoignages recueillis par la Ligue Togolaise des Droits de l’Homme auprès de parents des victimes sur l’heure à laquelle ces derniers ont quitté leur domicile, la destination où elles se rendaient, l’itinéraire probablement emprunté, sont autant d’éléments de recoupement qui confirment les témoignages des rescapés.

Une deuxième vague d’assassinats aurait été commise au cours de l’après-midi de la même façon.

Selon d’autres témoignages, recueillis par la ligue Togolaise des Droits de l’Homme et la Commission Nationale des Droits de l’Homme, des manifestants ou simples passants ont été arrêtés par les forces de l’ordre, battus ou torturés à mort puis jetés dans la lagune.

Les résultats de l’enquête confiée à la Commission Nationale des Droits de l’Homme sont rendus publics au cours de la Conférence Nationale en juillet 1991.

Le rapport d’autopsie établi le 11 Avril, sur dix-neuf des corps, corrobore les témoignages. « Les corps présentent le même état de dé composition avec, entre autres, des bouffissures, du visage, des bulles phlycémillaires sur le corps, un écoulement sanguinolent par les orifices vaso-buccaux et auriculaires, des lésions crâniennes, enfoncement crânien, des fractures crâniennes occasionnés par des objets contondants type bâtons ou gourdins.» »

Les enquêtes faites à l’époque par la CNDH révèlent que ces massacres sont l’œuvre d’un commando de parachutistes des FAT dirigé par Ernest GNASSINGBE, fils d’EYADEMA qui, la veille, a sauvagement réprimé les manifestants dont les cadavres ont été jetés dans la lagune. Malgré les nombreuses requêtes adressées à l’époque au président EYADEMA pour que soient identifiés les détachements et tous les officiers responsables de ces crimes, notamment par la CNDH, ceux-ci n’ont jamais été recherchés, arrêtés, jugés ni châtiés jusqu’à ce jour.

C’est ainsi que dans son « RAPPORT GENERAL DE SYNTHESE (17 août 1991) », la « COMMISSION II : AFFAIRES POLITIQUES, DROITS DE L’HOMME ET DES LIBERTES PUBLIQUES – DROITS DE L’HOMME ET LIBERTES FONDAMENTALES » de la Conférence nationale souveraine de juillet-août 1991 a notamment mis en cause les officiers et soldats impliqués dans l’exécution de ces massacres comme suit :

« Considérant que malgré ce mutisme du Chef de l’Etat, certains officiers ayant été nommément désignés et même entendus par la CNDH, la Conférence Nationale Souveraine se doit de les interpeler, et au besoin de les faire poursuivre en justice ;

Décide:

1 — L’interpellation par la Conférence Nationale et à défaut devant une commission ad hoc des personnes, officiers, sous-officiers et soldats suivants :

a) – Pour les massacres de la lagune de Bè :

— Lieutenant Colonel Gnassingbé Toyi (ex Donou)

— Lieutenant Colonel Arrégba

— Lieutenant Gnassingbé Essonam Ernest

— Capitaine Pigba

— Capitaine Titikpina

— Capitaine Biténéwé Kolima

— Capitaine Béréna

— Commandant Djoua Yoma

— Lieutenant Sogoyou

— Sous-Lieutenant Agba Yoma

— Sous-Lieutenant Folly

— Sous-Lieutenant Bakaly

— Sous-Lieutenant Délaman

— Sergent Chef Eglou Kézié

— Adjudant Amélété

— Cap. le soldat Badabo

(…) »

Au total, sur les 28 cadavres de jeunes gens, femmes et enfants retirés de la Lagune de Bè, on a notamment pu identifier ceux de :

  • Augustin AHADJI ;
  • Akoko MILEHOHO ;
  • Marcel GOKOU ;
  • Améyovinô APETI, femme enceinte portant un bébé au dos, originaire du village d’Adjologou (Préfecture de Vo) ;
  • AMOUZOU, dont le fils connaitra étrangement le même sort que lui 14 ans plus tard, noyé dans la même Lagune de Bè comme son père, lors de la répression barbare des militaires contre la population le 27 février 2005, à la prise illégale du pouvoir par Faure Essozimna GNASSINGBE, suite au décès de son père Gnassingbé EYADEMA.

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